Trente

Ouf, quelle semaine! J’ai eu six rendez-vous en trois jours dans cinq endroits différents, plus une période dépressive intense, un cinq à sept avec mes collègues, une sortie de vélo en famille et une course à pied.

En passant la balayeuse, tantôt, j’ai eu une petite pensée pour ma cousine Mélina et sa grande maison en devenir. Puis je me suis promis de m’offrir une femme de ménage lorsque j’aurai réintégré le marché du travail, question de maximiser le temps de qualité avec mon fils et son père.

Soit dit en passant, mon chéri m’a offert d’arrêter de m’achaler avec ses doutes sur sa paternité si je publiais une photo de moi avec des feuilles d’érables rouges sur les joues, après m’avoir piégée à me rendre au parc JC lors de la fête du Canada. J’ai presque accepté.

Il faut savoir que pour faire une sortie de vélo de 70 km, ça nous prend presque toute la journée. Non, je ne suis pas si lente que ça! Mais on pique-nique dans un parc et papa fait une boucle supplémentaire pendant que fiston s’amuse dans la structure de jeux.

Ce vendredi, le parc d’Orford était étrangement désert. S’il avait été plus achalandé, j’aurais bien juré me trouver au beau milieu d’un tournage de Juste pour rire. Quelques minutes après le passage d’un Dany Turcotte à l’air coquin accompagné de son chien, est apparu un duo maître/chien beaucoup moins rigolo.

Assise dans le gazon avec fiston à quelques mètres, j’ai tenté de la jouer «nenon, j’ai pas peur des chiens» et «nenon, je n’ai pas de préjugés sur les propriétaires de chiens méchants». Je ne connais rien de rien aux chiens, mais celui-là était particulièrement laid.

Alors qu’il fonçait (ok, non, il trottait mais c’est moins dramatique) directement sur moi (dans un parc désert, sérieux, c’était freakant), son maître (en bedaine et gougoune) s’est mis à baragouiner dans un français très approximatif : «pitbull-doberman-lab», «presque jamais mord».

Je me suis levée rapidement, heureuse de voir le dude attraper la laisse de son chien avant de s’approcher de mon petit. Bref, j’ai échoué mon épreuve «chien».

Quant à mon défi 5 km de course dans une foule dense en poussant fiston dans son bolide, je crois l’avoir réussi. Si on exclut bien sûr la partie «contrôle de soi» dans une foule dense qui ne respecte pas les règles de base de la course à pied, à savoir «gardez la droite, tabarnak» (excusez-là, mais c’est ça pareil).

Bref, j’ai passé la moitié du parcours à zigzaguer de peine et de misère (c’est gros, un Chariot) entre la moitié des coureurs qui a fini après moi, parce que fiston ne décollait pas des jeux gonflables et qu’on est parti en dernier dernier, par respect pour ceux qui s’étaient entraînés. L’autre moitié, je l’ai passée à regarder compulsivement mes battements cardiaques.

Quand son tour est arrivé, Fiston a refusé de mettre son dossard, d’intégrer la foule (qui peut le blâmer?) et de courir. J’ai marché avec lui quelques mètres, puis on l’a ramené vers les satanés jeux gonflables, sa nouvelle passion. Il sera très déçu, tantôt, quand il constatera qu’on les a enlevés du parc JC…

Karma

Quand j’étais au secondaire, je galérais solide à transférer mon bagage d’un autobus jaune à l’autre : sac d’école, sac d’éduc, sac à lunch, violon, clarinette. Demandez à mes voisins si le son mélodieux du violon débutant ou les canards les dérangeaient, ils vous diront que non. Et pourtant, Antoine vous dira à quel point j’étais poche.

Évidemment, à la question «as-tu pratiqué ___?», je répondais systématiquement «non». Un peu comme on patine lorsque l’hygiéniste dentaire nous demande si on passe religieusement la soie dentaire, avec un «j’m’en câlisse» sous-entendu.

À l’aube de mes dix-huit ans, pour la première fois, ça m’a pété dans ‘face. T’as pas participé à la rando d’équipe? T’as pas suivi ton entraînement de jogging? Ben, à matin, petite fille, tu restes bien tranquille dans le refuge des japonais, à 3800 m d’altitude, pendant que tes coéquipiers fouleront le toit de l’Europe. Ben bon.

On pourrait croire que j’ai retiré une leçon de cet échec. Mais après ma deuxième chirurgie, encombrée par un drain et perturbée par un bras engourdi, tous m’ont répété «fais tes exercices de bras, c’est très important» et j’ai choisi d’entendre «pratique ton violon» et j’ai fait l’ado qui s’en câlisse. Résultat : je me suis mérité une autre série de rendez-vous, chez le physiothérapeute cette fois. Bravo championne.

Je l’anticipais mais j’attendais un miracle, comme la fois où la face de feu mon prof de clarinette est apparue dans la fenêtre de mon cubicule, impressionné par le beau son rond que j’avais réussi à sous-tirer d’une anche pétée. La face de la chirurgienne disait «qu’elle idiote, cette patiente». Enfin.

«I’m in a dark place», dirait-on, dans une autre langue. Surtout parce qu’après six mois d’attente, l’évaluation de fiston chez l’orthophoniste n’a pas été aussi bien que je l’espérais. Je vous épargne les détails qui, de toutes façons, ne sont pour l’instant que théories et interprétations, mais disons que c’est une autre bataille qui continue.

Mon nostrada-chum me répète souvent, à la semi-blague, que je reçois les foudres karmiques. Je n’y crois pas, puisque tant de gentilles personnes sont malades, et parce qu’il y a des maudites limites à être punie pour avoir ri d’un crachat de paparmane dans la face.

Sur ce, je m’en vais suer mes péchés, et rattraper ma paresse de 1995, en allant jogger vers le parc avec mon fils adoré (que j’ai dû ramener de force à la maison hier soir alors qu’il s’en allait encore au parc J-C à la marche). Dans mon prochain billet, je vous raconterai s’il a franchi son kilomètre en moins d’une heure. Tourlou!

Solstice

J’ai rencontré la radio-oncologue mardi dernier. Pas de résident cette fois, la vraie médecin en pleine maîtrise de son métier, fiou! On m’a tatoué (wouhou, je suis presque une badass!) six minuscules points, question de me positionner toujours de la même manière pour les traitements. Il y en aura vingt-neuf, échelonnés sur six semaines. Je vais passer l’été au CHUS, en somme.

Mon expérience médicale ayant été si bonne, j’en ai profité pour prendre mon courage à deux mains et aller de l’avant avec l’injection visant à me ménopauser. Installée sur le divan, les deux yeux bien fermés, j’ai attendu que mon chéri procède. «Je ne peux pas insérer cette aiguille dans un humain», a-t-il dit, le plus sérieusement du monde. J’ai gardé mon calme et surtout les yeux fermés, malgré son insistance à me montrer la chose. L’injection a été franchement douloureuse et la prochaine fois on aura recours à une infirmière. J’haïs les résidents, je vous l’ai tu dit ?!?

Sinon, ma santé va bien. Mon bras est moins engourdi qu’il l’était mais encore douloureux et pas parfaitement mobile. J’arrive tout de même a faire du vélo pendant trois heures ou à conduire une voiture manuelle. Mon balancement des bras étant déficient, je ne cours pas très efficacement cependant et je ne briserai aucun record personnel dans deux semaines 😉

Ma santé mentale, elle, est excellente. D’autant plus que j’ai eu la chance de voir des amis que je n’avais pas vu depuis plus de trois ans en fin de semaine dernière. Vous savez ce genre d’amis qu’on a l’impression d’avoir côtoyé la semaine dernière.

Alors que je défaisais ma tente, Louka, huit ans, m’a demandé si j’avais déjà eu les cheveux plus longs. S’en est suivi une discussion un peu maladroite au sujet du cancer. Mon initiation aux conversations sérieuses avec les enfants, j’imagine. Au final, il m’a dit quelque chose comme «je te souhaite de ne pas aller au ciel», ça m’a beaucoup touchée.

En cette journée du solstice, je vous souhaite tous un très bel été, vous qui m’accompagnez de près ou de loin depuis sept mois, ça m’aide beaucoup.

Allure

«J’haïs les résidents». Voilà la seule phrase que j’ai eu en tête pendant près d’une semaine, ce qui explique mon blocage en matière de rédaction de billet de blogue. Une grosse semaine à broyer du noir.

Je vous épargne les détails, que j’ai oublié d’ailleurs, mais disons que la communication est un art que ne maîtrisent pas tous les médecins. Non pas que je prétende le maîtriser moi-même mais bon, j’aimerais bien pouvoir évaluer mon «expérience patient», dans une perspective d’amélioration continue.

En prévision de l’hormonothérapie donc, et parce que j’ai accepté d’abandonner tout projet de procréation, on doit me ménopauser. En fait, JE dois me ménopauser. Je suis en possession de l’onéreux liquide, mais j’ai choisi de laisser passer la dépression avant de demander à mon chéri de me l’injecter.

La veille pourtant, j’allais plutôt bien. Après m’être remise de la lecture d’un roman de 800 pages (ce qui se compare étrangement à l’écoute boulimique d’une série télé de plusieurs saisons), j’avais enfourché mon vélo et tenté de me remettre au jogging. Enfin, c’est fini pour l’instant, fiou!

Mon fils, lui, on ne l’entraîne pas, évidemment, mais j’aimerais bien qu’il franchisse la ligne d’arrivée à sa première course. Hier, mon chéri suggérait qu’on le fasse courir un peu, alors quand fiston n’a pas voulu s’arrêter au parc du quartier, je me suis dit «bah, c’est pas si loin le parc Jacques-Cartier» et je l’ai laissé décider du parcours.

C’est pas nouveau, son envie de visiter les autres parcs de la ville, mais normalement, on est à vélo. Cette fois : pas de vélo, pas de poussette. Oh boy! Il a testé le tuteur d’un arbre chez les jumelles Larose, inspecté tous les bacs à fleurs du bord de l’eau, rue de l’Esplanade, essuyé tous les bancs du marché de la gare, tourné autour de tous les lampadaires de la piste de la zone zen…

Le pauvre petit loup s’est rendu au parc, brûlé raide, après près de trois heures de marche. Une allure ressemblant à 64 min/km. J’espère qu’il fera mieux à la course du 3 juillet mais je suis néanmoins très fière de lui. Il a réussi à me réconcilier avec la zone zen.

Mi-parcours effectué

La veille de ma chirurgie, alors que mon chéri était parti pour une centaine de kilomètres de vélo, junior a été pris d’une terrifiante diarrhée. On a donc décidé de ne pas l’envoyer à la garderie le lendemain. Mon père l’a donc emmené chez lui, après m’avoir laissée en chirurgie d’un jour et d’avoir apporté mes effets personnels.

J’ai passé près de trois heures toute seule sur une chaise droite, à me geler les pieds sur le plancher de l’hôpital en écoutant les infirmières répéter ad nauséam les instructions d’usage pour les (innombrables) opérés de la cataracte. J’ai somnolé en essayant d’oublier à quel point j’avais faim et en espérant très fort ne pas être prise de diarrhée sur la table d’opération.

La procédure s’est bien déroulée et la chirurgienne s’est faite rassurante concernant ma réhabilitation. En fait, la résidente qui avait réussi à me faire paniquer et croire que je ne pourrais pas faire de vélo de l’été, en me dirigeant tout droit en physiothérapie a des croûtes à manger, quelle surprise!

Je ressors de l’opération avec une cicatrice un peu plus grande que précédemment et un impressionnant drain temporaire (un tube et une poire) destiné à éviter que les vides laissés par le retrait des ganglions ne se remplissent de liquide. C’est assez répugnant, pour quiconque n’étant pas à l’aise avec les fluides corporels.

Mon séjour à l’hôpital s’est bien déroulé. Les travailleurs de la santé sont vraiment des gens dévoués. À travers les malcommodes qui arrachent leur soluté et les princesses qui hurlent les doses de médicaments qu’elles estiment avoir besoin, ils arrivent à faire un travail correct. J’avais cependant hâte de quitter l’établissement.

Quelques minutes après qu’on m’ait enlevé mon soluté, la diarrhée s’est manifestée de manière fulgurante. Je suis maintenant malade depuis quarante-huit heures : c’est pas la grosse joie et ça ne facilite pas la récupération.

Avant la chirurgie, j’ai fait le plein à la bibliothèque et le premier livre que j’ai lu était le dernier de la série «cancer» que j’avais sur ma liste. Chronique d’un cancer ordinaire de Dominique Demers est particulièrement intéressant (du fait qu’il soit bien écrit, notamment) mais plutôt déprimant pour la suite.

En effet, j’en arrive à la moitié de mes traitements : la chimiothérapie et la chirurgie sont derrières moi, la radiothérapie et l’hormonothérapie suivront. C’est cette dernière, l’hormonothérapie, qui me chicotte maintenant puisqu’au dire de Mme Demers, qui en a supporté quatre ans (plutôt que les cinq ou dix prescrits), c’est comme «la ménopause fois mille». Oh boy.

Sachant qu’il est inutile de paniquer d’avance, je vais me concentrer sur une autre pensée inspirée d’un film cette fois, voulant que l’allure de notre gazon et notre bonheur soit relié («les gens heureux ne laissent pas mourir le gazon», ou quelque chose du genre). Il se trouve que mon gazon, en ce joyeux printemps, a l’air d’une prairie garnie d’un sympathique mélange de myosotis, pissenlits et fraisiers : c’est très joli.

Et puisque ma réhabilitation physique ne semble pas être un enjeu, je vais dès que possible me remettre au jogging en vue de la course du 3 juillet prochain.

Pilosité

Avec l’arrivée du temps clément, je peux enfin dire Bye Bye au p’tit maudit foulard. Ça donne des situations cocasses comme le petit garçon au parc qui dit, en parlant de mon garçon, «il est avec son papa», en parlant de moi…

J’admets qu’arborer mon look de skin head au parc n’est pas la meilleure des stratégies pour m’intégrer à la faune locale et ainsi éviter que mon fils se fasse pousser en bas de la structure de jeu. M’enfin, je m’assume et j’aspire à avoir un bronzage «casque de vélo» sur le crane.

Mes cheveux mesurent un centimètre et demi environ, sans trop de densité cependant. Rien à voir avec des cheveux rasés, selon moi. À ce propos, j’ai eu une réflexion complètement déplacée selon laquelle se raser la tête «pour la cause» n’a rien à voir avec la perte de cheveux. Comme quoi je dis souvent n’importe quoi…

Aujourd’hui, j’ai beaucoup pleuré en pensant au drame que vit la seule personne que je connaisse qui ait déjà participé au Défi têtes rasées, Fabienne. Elle vient de perdre son petit garçon de treize mois, décédé tragiquement d’étouffement.

Je vais penser à elle quand je vais serrer mon fils dans mes bras. Et surtout, ça va m’aider à arrêter de déprimer parce que ma prochaine chirurgie va probablement m’empêcher de participer à la course à laquelle je me suis inscrite et de profiter pleinement d’une saison de vélo.

Bref, les nouvelles auraient pu être meilleures. Il reste des cellules cancéreuses impossibles à enlever du côté de mon sein, que l’on devra éliminer par radiothérapie. Puis, le ganglion sentinelle prélevé présentait aussi des cellules cancéreuses, c’est pourquoi on va me réopérer pour enlever d’autres ganglions.

La chirurgie est prévue pour le 24 mai prochain, d’ici là, j’espère être sur mon vélo le plus souvent possible. Il n’y a rien de tel que sentir la roue d’en avant qui lève dans une côte trop abrupte pour te reconnecter avec l’essentiel.

Bisous.

Averse

Courir par un temps de canard n’est pas très agréable. Oh oui, la zone zen est enfin déserte et t’as l’impression de courir «pour vrai» (pas juste pour montrer ton beau linge), mais à chaque pas ça fait «floc», tes sous-vêtements sont trempés, il fait frette.

J’y suis allée quand même ce matin, parce que je dois me préparer pour une course, mais surtout parce que mon chum me surveille et me fouette. Il est allé jusqu’à me couper le chocolat, faut le faire! Je ne comprends pas très bien l’expression «to quit cold turkey» mais je sais très bien c’est qui la dinde 😉

Après avoir joggé la moitié de mon objectif, j’étais en train de me chercher une excuse pour couper ça court et rentrer : il faut dire que jogger sous la pluie c’est encore pire que courir sous la pluie, enfin moi ça me paraît interminable!

Puis, j’ai aperçu une tache rouge et une tache jaune, sur le bord de la piste au marché : un petit poussin et un grand nono, mes amours! Je me suis redressée et j’ai accéléré, comme à la fin des courses quand j’essaie de bien paraître…

Arrivée près de l’escalier, j’ai continué, pour me donner bonne conscience, puis j’ai rebroussé chemin et je suis monté vers la maison. Mes cuisses ont crié très fort. Il faut dire que reprendre le jogging c’est difficile. Et que j’ai aussi fait deux moyennes sorties de vélo dans les deux derniers jours.

Je sais, j’exagère. Mais je vous rappelle qu’on m’a coupé le chocolat! En fait, toutes ces activités sportives m’ont bien changé les idées. J’en ai besoin car vendredi j’ai appris que mon rendez-vous de suivi post-chirurgical était devancé de trois semaines et aurait lieu ce lundi.

Ça veut dire que les résultats de la pathologie sont arrivés. Évidemment, j’ai tout de suite pensé au pire : des traces de cancer dans le ganglion sentinelle qui demanderaient une nouvelle chirurgie pour enlever tous les ganglions, une convalescence plus difficile, bye bye vélo et jogging… Ensuite, mon chum m’a dit que ce pourrait être encore pire : des traces de cancer dans les tissus du sein que j’étais si heureuse d’avoir sauvé, bye bye moral de béton…

Dans les faits, ça pourrait aussi être aucunes traces de cancer et on poursuit le traitement par la radiothérapie. Mais ça, ça m’a pris plusieurs kilomètres de vélo pour le comprendre. Bref, ça devrait aller. Je vais éviter les autobus (ah oui, je ne l’ai pas publiée cette aventure-là… me suis pogné avec un chauffeur d’autobus et j’ai presque fondu en larmes, de la grosse instabilité émotionnelle) et compter sur tous mes gentils «allumeurs de lampions» pour que les nouvelles soient bonnes.

Jour de la Terre

D’entrée de jeu, je dois dire que je me suis plantée à mon titre d’il y a deux billets : Archambault appartient maintenant à Renaud-Bray, je ne suis pas à jour dans mes nouvelles économiques…

Je ne suis pas à jour dans grand chose, de toutes manières, puisque ces derniers temps, j’ai canalisé mon stress dans les sudoku, les Aventuriers du rail et Gilmour Girls. Édifiant, n’est-ce pas?

Juste avant de passer sous le bistouri, je me suis lancée dans un défi cycliste un peu exagéré : combiner première sortie de la saison et première fois que je tire fiston dans la remorque sur une vraie route sans Bionx. Je suis arrivée à St-Élie exténuée mais fière de moi. Fiston, lui, était un peu étonné d’atterrir là mais il a bien accepté qu’on le largue pour quelques jours.

Jour J, sept heures, je fais la file en chirurgie d’un jour, me sentant dans un corral de Temple Grandin. On m’envoie bientôt en mammographie pour me faire poser un harpon, je pense à la chasse aux phoques. Il s’agit en fait d’un mince fil, qu’on m’insère à frette, qui servira de guide vers la zone de la tumeur.

Plus expressive qu’une chirurgienne, la technologue m’apprend que la réduction de la tumeur est impressionnante. Tout se passe bien jusqu’à ce que je vois le sang… «Vagale» is my middlename. Dans la salle d’attente, je sens le regard des autres femmes, compatissantes, mais j’essaie de m’en soustraire car je tiens à traverser l’épreuve en solo.

On m’envoie ensuite en médecine nucléaire pour l’injection du colorant radioactif qui servira à identifier mon ganglion sentinelle. Je suis fin prête pour l’opération. On vérifie mon identité et on me demande d’expliquer la procédure, c’est bien, on ne m’amputera pas de bras par erreur.

Contrairement à ma voisine d’en face dans la salle de chirurgie d’un jour, je n’ai eu connaissance de rien et je suis plutôt amorphe à cause de l’anesthésie. L’autre, raconte trois fois plutôt qu’une comment elle a réussi à ajouter la réparation du tunnel carpien à sa chirurgie prévue et à faire entendre du AC/DC dans la salle d’opération une fois la procédure complétée, le tout super méga fort. S’adressant à sa mère : «c’est de ta faute, ça», puis à la salle : «Excusez-moi tout le monde, c’est la faute de ma mère si je parle aussi fort».

Voilà donc comment j’ai passé le jour de la Terre 2016 : à générer un cocktail de déchets domestiques, biomédicaux et radioactifs. Malgré mes remords environnementaux, tout va bien : j’ai enlevé mon pansement tantôt et j’ai pleurniché de soulagement en voyant mon sein quasi-intact.

Assistance

Hier après-midi, je suis allée chercher fiston à la garderie en joggant, parce que je n’avais rien foutu de la journée, que je n’ai pas respecté mon engagement de sécrétion d’endorphines, mais surtout parce que je jugeais qu’il faisait un peu froid pour le vélo.

Inévitablement, à peine entré dans la véranda, fiston a pointé le vélo, sorti ses yeux de biche, pointé les casques, l’air de dire : «déguédine, on part». Il m’a fallu quelques minutes pour lui faire accepter que j’avais besoin d’un manteau, au minimum, et d’une batterie.

La batterie ne voulait pas clencher, j’ai pensé à maman qui venait de me raconter avoir troubleshooté son Bionx plus tôt dans la journée, j’ai sacré un peu et je suis allée chercher une autre batterie qui a bien voulu clencher, merci.

Une fois «toque-son» embarqué et bien attaché, je me suis rendu compte que, clenchée ou pas, la batterie n’alimentait pas le système d’assistance au pédalage. Qu’à cela ne tienne, si je suis capable de le déplacer en sac-à-dos et en poussette, je dois bien pouvoir nous mouvoir en vélo sans assistance, me suis-je dit, trop paresseuse pour débarquer fiston.

Ouf! Arrivée près d’une côte descendante, je me suis dit que l’effort à fournir pour contrer l’inertie (Mathieu va encore dire que j’utilise mal ce mot, une chance qu’il ne lit pas mon blogue!) du moteur était supérieur à ma capacité de malade semi-sportive ayant déjà couru dans les rues pentues de mon quartier. «Pentues» étant le mot clé dans ma phrase, on a tôt fait de faire le tour de la portion praticable du quartier.

Comme quoi toute la volonté du monde ne suffit pas toujours et que le recours à l’assistance est parfois nécessaire. (Check ben mon analogie bouetteuse!). Dans le cas de mon cancer, mon allier le plus précieux aura sans doute été la chimiothérapie. Même si j’aurais envie de te dire que j’ai reçu un placebo et que ma confiance et mon moral d’acier ont à eux seuls fait réduire ma tumeur au point où les praticiens la cherche, je crois que le cocktail de poisons mérite les honneurs.

Tellement efficace, cette chimiothérapie néo-adjuvante, que la chirurgienne qui m’annonçait une mastectomie totale il y a quelques semaines, arguant la petitesse de mon sein, a revu sa position et qu’on va sauver mon mamelon, youpi! L’intervention est prévue pour vendredi, j’essaierai de donner des nouvelles la semaine prochaine.

J’ai voté pour PKP

Arrivée en haut de la côte King, je ralentis le pas un brin pour souffler. Mon manque d’assiduité à l’entraînement n’a rien à voir avec l’essoufflement : je porte certainement une charge équivalente à un Charles-Antoine et demi sur le dos et je suis habillée comme on s’habille au printemps lorsque c’est l’hiver le matin et l’été en fin de journée.

Mon regard croise un balafon, à peine plus gros que celui que j’ai acheté au musée de la musique de Ouagadougou, dans la vitrine du prêteur sur gage : de kessé? Je trouve ça drôle, étant donné l’état d’esprit «retour de voyage» dans lequel je me trouve. Okay, je reviens de moins de trente-six heures d’absence à deux heures de bus de chez moi mais bon, je n’y peux rien, au retour, j’ai toujours un œil différent sur ma ville. Comme je reviens de la métropole, j’en arrive même à trouver l’artère principale de la reine des Cantons de l’Est propre et tranquille.

J’arrive de mon pèlerinage annuel à la Braderie de la mode québécoise. Je déteste le magasinage mais je dois bien m’habiller alors j’essaie d’éviter le plus possible d’encourager l’industrie du vêtement qui fait travailler des enfants dans des usines dont le toit menace de s’effondrer. Je doute que ça mette beaucoup de beurre sur les épinards des artisans d’ici que d’acheter leurs vêtements en solde mais bon, il y a une bonne intention derrière ma démarche. Acheter c’est voter, comme dirait Laure Waridel.

Alliant l’utile à l’agréable, j’ai étiré mon séjour d’une journée pour un rendez-vous et je me suis invitée chez des amis pour la nuit. J’ai donc pris le métro à l’heure de pointe avec mon énorme sac à dos. Lorsqu’une jeune femme a ouvert la porte, j’ai compris que je m’étais trompée d’adresse. Plus tard (beaucoup trop tard), j’ai réalisé que mes amis n’avaient pas déménagé subrepticement dans la nuit, que j’étais déjà allée dans leur pas si nouveau logement que ça. Re- le métro bondé avec un énorme sac à dos, bravo!

La semaine précédente, je m’étais imaginée fondre en larmes de nervosité, avoir besoin de zoothérapie et de bébéthérapie à l’idée d’affronter la Mastectomie en montrant mes boules à la caméra. Et bien non, j’ai été l’invitée attendue, la Lazure habituelle… ben celle qui venait de se tromper de quartier.

Marie-Ève a eu la gentillesse de me reconduire chez la photographe, d’un coup d’oeil à la carte elle a su où aller. Arrivées sur la rue paisible et tortueuse, on porte attention aux numéros civiques : 16, 18, 20, 22. Point de 24. Après s’être cassé un peu le bicycle, on se rabat sur le 24 du Croissant, c’est quasiment la même chose au fond. Avertie par les jappements stridents de son chien, une femme âgée vêtue d’une robe de chambre sort : elle n’est pas photographe, me suis encore trompée d’adresse, bravo!

Lorsque j’avais lu le courriel de Mia me parlant du projet de son amie, j’avais versé toutes les larmes de mon corps en quelques secondes. Un gros sanglot sincère. Je m’étais dit que poser pour ce projet serait ma manière d’apprivoiser la mastectomie. Comme tout ce qui entoure mon cancer, je m’y suis lancée en faisant entièrement confiance à la professionnelle.

De retour au centre-ville par un métro étonnament bondé (à cette heure-là, les autobus de Sherby ont deux-trois passagers), j’ai décidé d’occuper mon temps à bouquiner. J’allais chercher le roman de Fanny Britt pour ma convalescence et, si j’avais le temps, explorer sommairement la Grande Bibliothèque.

Ils sont bons, les commerçants, pour te vendre des trucs. J’ai hésité un moment avant de me lancer, habituée à encourager ma biblairie de quartier («acheter c’est voter» all the way, tsé), puis j’ai perdu le contrôle. Après tout, si je pouvais dépenser des centaines de dollars pour des vêtements, je pourrais bien dépenser un peu pour encourager l’industrie de la littérature et sauver quelques cents en retards à la bibliothèque. Je me suis laissée emporter un peu et j’ai voté pour PKP.

Billet d'humeur