Chère madame des assurances,
Lundi, quand tu m’as appelée, j’étais pas mal relax. Je revenais d’un périple de deux jours au Vermont en Westfalia avec mes hommes. À deux pas de chez nous, certes, mais ce fût toute une aventure. Je ne sais pas si tu sais combien c’est de l’action un garçon de deux ans, j’ai le sentiment que tu n’as pas cette maturité.
À tes questions, j’ai donc été bien honnête : oui, ça va généralement assez bien, je ne suis pas trop affectée par mes traitements de radiothérapie et oui, je fais la grosse vie de ménagère qui regarde des téléromans en faisant la vaisselle. Je ne t’ai pas parlé de mon entraînement de course, ni de mes sorties de «vrai» vélo. Parce que de toutes manières, j’ai déjà une blessure au pied et je peine à faire 150 km de vélo en quatre semaines…
Je ne t’ai pas parlé de transport actif non plus, parce que, quand je t’ai dit que je ne me sentais pas prête à travailler à temps plein, parce que je ne me sens pas en pleine possession de ma santé mentale, tu m’as dit que ça arrive à tout le monde des épisodes dépressifs, que c’est pas une raison suffisante pour ne pas travailler. Alors j’ai compris que ton travail c’est de me couper mes prestations pis qu’un moteur Bionx, t’es trop bouchée pour comprendre que ça monte les côtes à ta place.
Je vais te raconter les jours qui ont suivi ton appel, juste pour que tu essaies de m’imaginer, dans mon bureau, couchée en petite boule.
Déjà, le jour même, ton appel avait semé en moi une petite graine de panique. Lors de mon traitement de l’après-midi, ma technologue fétiche m’a sorti un «vous êtes un peu rouge là, vous savez qu’il ne faut pas vous exposer au soleil? (avec un peu plus d’exclamation que d’interrogation) On vous traite jusque là, tsé» (Je te laisse deviner où c’est «là» pis je te «dare» de passer l’été habillée jusqu’au cou pis avec des manches).
Mardi, j’avais rendez-vous avec mon oncologue. J’y suis allée en voiture, parce que ma batterie ne me permets pas deux voyages à la garderie plus deux voyages au CHUS. Je me suis préparée mentalement à dire gentiment que j’haïs les résidents… et j’ai espéré ne pas en rencontrer un, surtout parce que j’aime bien mon oncologue, c’est un cycliste, il est sympa.
Il était un peu en retard, et par conséquent pressé, mais lorsque je lui ai parlé de la lourdeur que je ressens à la poitrine depuis quelques jours et de la bosse qui est apparue sous mon aisselle, il a pris un air grave. Je ne sais pas si tu sais de quoi ça a l’air, un médecin sympa qui prend un air grave mais c’est plutôt inquiétant. Il a commandé deux examens, m’a dit de les faire dans la journée et de revenir le voir après.
J’ai eu un rendez-vous pour une scintigraphie le jour même, un peu en même temps que mon traitement de radiothérapie. J’ai respiré de la radioactivité, on m’a photographié les poumons. J’ai gardé les yeux fermés parce que j’avais un de ces mal de têtes de trois jours. Arrivée en retard à mon traitement, le stress s’est emparé de moi, je me suis mise à pleurer.
Résultat? J’étais apparemment tellement crispée que je n’arrivais pas à reproduire ma position habituelle. Le traitement a pris trois fois plus de temps que prévu, j’ai mis tout le monde en retard d’une heure. Au total, j’aurai passé environ trois heures à l’hôpital, plus une bonne heure de transport.
Mercredi, mon niveau de stress était à son comble, parce que les poumons, c’était pas si stressant que ça à côté de la bosse. Par chance, mon chéri m’a accompagnée à mon échographie, où on a déterminé que le contenu de la bosse est essentiellement liquide donc pas très inquiétant. L’oncologue nous a rassuré mais m’a demandé de prendre rendez-vous avec la chirurgienne pour vérifier ça. Puis, je suis allée à mon traitement de radiothérapie.
Même si le stress avait baissé, les technologues m’ont replacée trois fois puis m’ont barbouillée tout le torse. J’ai bien hâte de voir aujourd’hui si ça va aller plus vite. J’ai passé trois heures à l’hôpital hier. Aujourd’hui et demain, je n’ai pas d’autres rendez-vous que mes traitements de radiothérapie, ça devrait porter le total de la semaine à environ douze heures. Peux-tu comprendre que travailler quarante heures en plus de ça, je ne vois pas comment ce serait possible?
Ce que je ne t’ai pas dit, non plus, c’est que mon fils vient d’intégrer un nouveau milieu de garde. Ça va être génial, mais en attendant, c’est plutôt galère. Les crises, les nuits chamboulées, etc. On essaie de garder une petite routine d’optimisation du temps de qualité en passant un peu de temps au parc, au retour du CPE. Hier, je suis allée le chercher avec notre nouveau bolide : un vélo-cargo sans assistance électrique. J’ai choisi ça parce que je pense que ça va me garder plus en forme. Mon chéri et son ancien patron de chez Bionx ont pris des paris, je crois, parce qu’ils ne me croient pas capable de faire la transition.
Ils ont probablement raison mais j’ai une sale tête de cochon, tsé. Mais sur le court trajet qui relie la maison au CPE, hier, j’ai sué comme un cochon, justement. Et arrivée dans la côte Vimy, celle qu’un cycliste débutant redoute presque autant que la côte Acadie, le dérailleur s’est emballé et s’est cassé.
Tu sais quoi, madame des assurances? Même si j’ai investi toutes mes économies dans ce nouveau véhicule et que je l’ai attendu pendant des jours en le suivant à travers l’Amérique, je n’ai pas pleuré. Je suis restée calme, j’ai assis mon fils sur le trottoir et attendu les secours. Je vais le réparer et recommencer.
Je tiens à te raconter tout ça parce que j’ai l’impression que tu crois que je suis en vacances, parce que j’ai le temps de faire les tâches ménagères de jour, pour passer du temps de qualité avec mon fils le soir. Mais j’aimerais juste te rappeler que le combat n’est pas encore terminé pis que tant que la bête n’est pas éradiquée, les sources de «stress démesuré» guettent, pis que non, c’est pas quelque chose qui arrive à tout le monde de temps en temps.
J’espère que tu as passé de belles vacances,
Prestataire Lussier