Jour de la Terre

D’entrée de jeu, je dois dire que je me suis plantée à mon titre d’il y a deux billets : Archambault appartient maintenant à Renaud-Bray, je ne suis pas à jour dans mes nouvelles économiques…

Je ne suis pas à jour dans grand chose, de toutes manières, puisque ces derniers temps, j’ai canalisé mon stress dans les sudoku, les Aventuriers du rail et Gilmour Girls. Édifiant, n’est-ce pas?

Juste avant de passer sous le bistouri, je me suis lancée dans un défi cycliste un peu exagéré : combiner première sortie de la saison et première fois que je tire fiston dans la remorque sur une vraie route sans Bionx. Je suis arrivée à St-Élie exténuée mais fière de moi. Fiston, lui, était un peu étonné d’atterrir là mais il a bien accepté qu’on le largue pour quelques jours.

Jour J, sept heures, je fais la file en chirurgie d’un jour, me sentant dans un corral de Temple Grandin. On m’envoie bientôt en mammographie pour me faire poser un harpon, je pense à la chasse aux phoques. Il s’agit en fait d’un mince fil, qu’on m’insère à frette, qui servira de guide vers la zone de la tumeur.

Plus expressive qu’une chirurgienne, la technologue m’apprend que la réduction de la tumeur est impressionnante. Tout se passe bien jusqu’à ce que je vois le sang… «Vagale» is my middlename. Dans la salle d’attente, je sens le regard des autres femmes, compatissantes, mais j’essaie de m’en soustraire car je tiens à traverser l’épreuve en solo.

On m’envoie ensuite en médecine nucléaire pour l’injection du colorant radioactif qui servira à identifier mon ganglion sentinelle. Je suis fin prête pour l’opération. On vérifie mon identité et on me demande d’expliquer la procédure, c’est bien, on ne m’amputera pas de bras par erreur.

Contrairement à ma voisine d’en face dans la salle de chirurgie d’un jour, je n’ai eu connaissance de rien et je suis plutôt amorphe à cause de l’anesthésie. L’autre, raconte trois fois plutôt qu’une comment elle a réussi à ajouter la réparation du tunnel carpien à sa chirurgie prévue et à faire entendre du AC/DC dans la salle d’opération une fois la procédure complétée, le tout super méga fort. S’adressant à sa mère : «c’est de ta faute, ça», puis à la salle : «Excusez-moi tout le monde, c’est la faute de ma mère si je parle aussi fort».

Voilà donc comment j’ai passé le jour de la Terre 2016 : à générer un cocktail de déchets domestiques, biomédicaux et radioactifs. Malgré mes remords environnementaux, tout va bien : j’ai enlevé mon pansement tantôt et j’ai pleurniché de soulagement en voyant mon sein quasi-intact.

Assistance

Hier après-midi, je suis allée chercher fiston à la garderie en joggant, parce que je n’avais rien foutu de la journée, que je n’ai pas respecté mon engagement de sécrétion d’endorphines, mais surtout parce que je jugeais qu’il faisait un peu froid pour le vélo.

Inévitablement, à peine entré dans la véranda, fiston a pointé le vélo, sorti ses yeux de biche, pointé les casques, l’air de dire : «déguédine, on part». Il m’a fallu quelques minutes pour lui faire accepter que j’avais besoin d’un manteau, au minimum, et d’une batterie.

La batterie ne voulait pas clencher, j’ai pensé à maman qui venait de me raconter avoir troubleshooté son Bionx plus tôt dans la journée, j’ai sacré un peu et je suis allée chercher une autre batterie qui a bien voulu clencher, merci.

Une fois «toque-son» embarqué et bien attaché, je me suis rendu compte que, clenchée ou pas, la batterie n’alimentait pas le système d’assistance au pédalage. Qu’à cela ne tienne, si je suis capable de le déplacer en sac-à-dos et en poussette, je dois bien pouvoir nous mouvoir en vélo sans assistance, me suis-je dit, trop paresseuse pour débarquer fiston.

Ouf! Arrivée près d’une côte descendante, je me suis dit que l’effort à fournir pour contrer l’inertie (Mathieu va encore dire que j’utilise mal ce mot, une chance qu’il ne lit pas mon blogue!) du moteur était supérieur à ma capacité de malade semi-sportive ayant déjà couru dans les rues pentues de mon quartier. «Pentues» étant le mot clé dans ma phrase, on a tôt fait de faire le tour de la portion praticable du quartier.

Comme quoi toute la volonté du monde ne suffit pas toujours et que le recours à l’assistance est parfois nécessaire. (Check ben mon analogie bouetteuse!). Dans le cas de mon cancer, mon allier le plus précieux aura sans doute été la chimiothérapie. Même si j’aurais envie de te dire que j’ai reçu un placebo et que ma confiance et mon moral d’acier ont à eux seuls fait réduire ma tumeur au point où les praticiens la cherche, je crois que le cocktail de poisons mérite les honneurs.

Tellement efficace, cette chimiothérapie néo-adjuvante, que la chirurgienne qui m’annonçait une mastectomie totale il y a quelques semaines, arguant la petitesse de mon sein, a revu sa position et qu’on va sauver mon mamelon, youpi! L’intervention est prévue pour vendredi, j’essaierai de donner des nouvelles la semaine prochaine.

J’ai voté pour PKP

Arrivée en haut de la côte King, je ralentis le pas un brin pour souffler. Mon manque d’assiduité à l’entraînement n’a rien à voir avec l’essoufflement : je porte certainement une charge équivalente à un Charles-Antoine et demi sur le dos et je suis habillée comme on s’habille au printemps lorsque c’est l’hiver le matin et l’été en fin de journée.

Mon regard croise un balafon, à peine plus gros que celui que j’ai acheté au musée de la musique de Ouagadougou, dans la vitrine du prêteur sur gage : de kessé? Je trouve ça drôle, étant donné l’état d’esprit «retour de voyage» dans lequel je me trouve. Okay, je reviens de moins de trente-six heures d’absence à deux heures de bus de chez moi mais bon, je n’y peux rien, au retour, j’ai toujours un œil différent sur ma ville. Comme je reviens de la métropole, j’en arrive même à trouver l’artère principale de la reine des Cantons de l’Est propre et tranquille.

J’arrive de mon pèlerinage annuel à la Braderie de la mode québécoise. Je déteste le magasinage mais je dois bien m’habiller alors j’essaie d’éviter le plus possible d’encourager l’industrie du vêtement qui fait travailler des enfants dans des usines dont le toit menace de s’effondrer. Je doute que ça mette beaucoup de beurre sur les épinards des artisans d’ici que d’acheter leurs vêtements en solde mais bon, il y a une bonne intention derrière ma démarche. Acheter c’est voter, comme dirait Laure Waridel.

Alliant l’utile à l’agréable, j’ai étiré mon séjour d’une journée pour un rendez-vous et je me suis invitée chez des amis pour la nuit. J’ai donc pris le métro à l’heure de pointe avec mon énorme sac à dos. Lorsqu’une jeune femme a ouvert la porte, j’ai compris que je m’étais trompée d’adresse. Plus tard (beaucoup trop tard), j’ai réalisé que mes amis n’avaient pas déménagé subrepticement dans la nuit, que j’étais déjà allée dans leur pas si nouveau logement que ça. Re- le métro bondé avec un énorme sac à dos, bravo!

La semaine précédente, je m’étais imaginée fondre en larmes de nervosité, avoir besoin de zoothérapie et de bébéthérapie à l’idée d’affronter la Mastectomie en montrant mes boules à la caméra. Et bien non, j’ai été l’invitée attendue, la Lazure habituelle… ben celle qui venait de se tromper de quartier.

Marie-Ève a eu la gentillesse de me reconduire chez la photographe, d’un coup d’oeil à la carte elle a su où aller. Arrivées sur la rue paisible et tortueuse, on porte attention aux numéros civiques : 16, 18, 20, 22. Point de 24. Après s’être cassé un peu le bicycle, on se rabat sur le 24 du Croissant, c’est quasiment la même chose au fond. Avertie par les jappements stridents de son chien, une femme âgée vêtue d’une robe de chambre sort : elle n’est pas photographe, me suis encore trompée d’adresse, bravo!

Lorsque j’avais lu le courriel de Mia me parlant du projet de son amie, j’avais versé toutes les larmes de mon corps en quelques secondes. Un gros sanglot sincère. Je m’étais dit que poser pour ce projet serait ma manière d’apprivoiser la mastectomie. Comme tout ce qui entoure mon cancer, je m’y suis lancée en faisant entièrement confiance à la professionnelle.

De retour au centre-ville par un métro étonnament bondé (à cette heure-là, les autobus de Sherby ont deux-trois passagers), j’ai décidé d’occuper mon temps à bouquiner. J’allais chercher le roman de Fanny Britt pour ma convalescence et, si j’avais le temps, explorer sommairement la Grande Bibliothèque.

Ils sont bons, les commerçants, pour te vendre des trucs. J’ai hésité un moment avant de me lancer, habituée à encourager ma biblairie de quartier («acheter c’est voter» all the way, tsé), puis j’ai perdu le contrôle. Après tout, si je pouvais dépenser des centaines de dollars pour des vêtements, je pourrais bien dépenser un peu pour encourager l’industrie de la littérature et sauver quelques cents en retards à la bibliothèque. Je me suis laissée emporter un peu et j’ai voté pour PKP.

Coups de pédales

En m’accueillant tantôt, mon oncologue a comparé la fin de ma chimio à la fin des étapes alpines du tour de France. En ma capacité de pseudo-autiste, j’ai répondu que je préfère subir la chimiothérapie à pédaler les cols des Alpes… #slowclap

S’en est suivi un intéressant mais perturbant monologue sur l’entraînement de vélo de mon médecin traitant, un vrai médecin habitué à la performance.

Quant à moi, j’ai trois Sufferfest (entraînements de vélo) derrière la cravate, les jambes me brûlent un tantinet et j’espère maintenir le cap d’ici ma chirurgie, aka l’éléphant dans la pièce.

Ce n’est pas un hasard si je n’ai pas écrit de billet depuis deux semaines. Évidemment, il y a eu Pâques et la cabane à sucre, c’est-à-dire plusieurs centaines de kilomètres de voiture électrique. J’ai même rasé lutter un chien barbet à Gracefield.

Tout ça se passe la fin de semaine vous dites? C’est ça. Je passe mes journées de semaine à faire de la boulimie alimentaire et télévisuelle. Beaucoup trop de télé, beaucoup trop de chocolat.

C’est dans seize dodo, tous les Sufferfest du monde ne seront pas suffisant pour évacuer le stress qui m’habite (et perdre mes kilos-chocolat). Alors le silence radio risque de se poursuivre côté blogue, toutes mes excuses.