Arrivée en haut de la côte King, je ralentis le pas un brin pour souffler. Mon manque d’assiduité à l’entraînement n’a rien à voir avec l’essoufflement : je porte certainement une charge équivalente à un Charles-Antoine et demi sur le dos et je suis habillée comme on s’habille au printemps lorsque c’est l’hiver le matin et l’été en fin de journée.
Mon regard croise un balafon, à peine plus gros que celui que j’ai acheté au musée de la musique de Ouagadougou, dans la vitrine du prêteur sur gage : de kessé? Je trouve ça drôle, étant donné l’état d’esprit «retour de voyage» dans lequel je me trouve. Okay, je reviens de moins de trente-six heures d’absence à deux heures de bus de chez moi mais bon, je n’y peux rien, au retour, j’ai toujours un œil différent sur ma ville. Comme je reviens de la métropole, j’en arrive même à trouver l’artère principale de la reine des Cantons de l’Est propre et tranquille.
J’arrive de mon pèlerinage annuel à la Braderie de la mode québécoise. Je déteste le magasinage mais je dois bien m’habiller alors j’essaie d’éviter le plus possible d’encourager l’industrie du vêtement qui fait travailler des enfants dans des usines dont le toit menace de s’effondrer. Je doute que ça mette beaucoup de beurre sur les épinards des artisans d’ici que d’acheter leurs vêtements en solde mais bon, il y a une bonne intention derrière ma démarche. Acheter c’est voter, comme dirait Laure Waridel.
Alliant l’utile à l’agréable, j’ai étiré mon séjour d’une journée pour un rendez-vous et je me suis invitée chez des amis pour la nuit. J’ai donc pris le métro à l’heure de pointe avec mon énorme sac à dos. Lorsqu’une jeune femme a ouvert la porte, j’ai compris que je m’étais trompée d’adresse. Plus tard (beaucoup trop tard), j’ai réalisé que mes amis n’avaient pas déménagé subrepticement dans la nuit, que j’étais déjà allée dans leur pas si nouveau logement que ça. Re- le métro bondé avec un énorme sac à dos, bravo!
La semaine précédente, je m’étais imaginée fondre en larmes de nervosité, avoir besoin de zoothérapie et de bébéthérapie à l’idée d’affronter la Mastectomie en montrant mes boules à la caméra. Et bien non, j’ai été l’invitée attendue, la Lazure habituelle… ben celle qui venait de se tromper de quartier.
Marie-Ève a eu la gentillesse de me reconduire chez la photographe, d’un coup d’oeil à la carte elle a su où aller. Arrivées sur la rue paisible et tortueuse, on porte attention aux numéros civiques : 16, 18, 20, 22. Point de 24. Après s’être cassé un peu le bicycle, on se rabat sur le 24 du Croissant, c’est quasiment la même chose au fond. Avertie par les jappements stridents de son chien, une femme âgée vêtue d’une robe de chambre sort : elle n’est pas photographe, me suis encore trompée d’adresse, bravo!
Lorsque j’avais lu le courriel de Mia me parlant du projet de son amie, j’avais versé toutes les larmes de mon corps en quelques secondes. Un gros sanglot sincère. Je m’étais dit que poser pour ce projet serait ma manière d’apprivoiser la mastectomie. Comme tout ce qui entoure mon cancer, je m’y suis lancée en faisant entièrement confiance à la professionnelle.
De retour au centre-ville par un métro étonnament bondé (à cette heure-là, les autobus de Sherby ont deux-trois passagers), j’ai décidé d’occuper mon temps à bouquiner. J’allais chercher le roman de Fanny Britt pour ma convalescence et, si j’avais le temps, explorer sommairement la Grande Bibliothèque.
Ils sont bons, les commerçants, pour te vendre des trucs. J’ai hésité un moment avant de me lancer, habituée à encourager ma biblairie de quartier («acheter c’est voter» all the way, tsé), puis j’ai perdu le contrôle. Après tout, si je pouvais dépenser des centaines de dollars pour des vêtements, je pourrais bien dépenser un peu pour encourager l’industrie de la littérature et sauver quelques cents en retards à la bibliothèque. Je me suis laissée emporter un peu et j’ai voté pour PKP.